Recherche scientifique et développement industriel

Recherche scientifique et développement industriel

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Armand LATTES
Professeur émérite
Université Paul Sabatier

La promotion de Toulouse comme Cité européenne de la Science en 2018 invite à revisiter les coulisses d’une longue histoire pour y retrouver le rôle d’acteurs majeurs qui, au début du XXe siècle, ont été des pionniers pour mettre en synergie recherche scientifique et développement économique. Parmi eux, Paul Sabatier (1854-1941), a joué un rôle majeur dans l’essor d’une grande industrie chimique dans une ville, Toulouse, qui était restée jusque là à l’écart de la révolution industrielle. Une industrie qui a cruellement marqué l’histoire urbaine récente, avec l’explosion de l’usine AZF en septembre 2011, mais dont l’empreinte reste présente dans le paysage urbain… et dans son sous-sol.

L’héritage de Paul Sabatier

 

Paul Sabatier, universitaire moderne attaché à sa province

Né à Carcassonne en 1854, Paul Sabatier a fait ses études secondaires à Toulouse. Élève de l’École Normale Supérieure, agrégé de physique, il soutient en 1880 sa thèse de doctorat ès sciences. Âgé seulement de 30 ans, il est nommé professeur titulaire de la chaire de chimie générale à la Faculté des Sciences de Toulouse. Comme souvent en province, rien n’était prévu pour entreprendre des recherches. Élève de Marcelin Berthelot, ne partageant ni ses idées philosophiques, ni ses positions sur la chimie moderne, il avait été en quelque sorte « exilé » en province par son maître.
À peine installé, il prend l’initiative de créer le premier laboratoire de recherches de la Faculté, qu’il devait diriger et animer de 1884 à 1939. Dès 1892, les locaux neufs de la nouvelle faculté des allées Saint-Michel (aujourd’hui Jules-Guesde) lui offrirent des conditions de travail à la mesure de ses ambitions scientifiques. Là, il découvrit, avec l’abbé Senderens, une réaction générale, l’hydrogénation des composés in-saturés, et il proposa le mécanisme de la catalyse qui avait permis cette découverte. Ce travail de recherche lui valut le prix Nobel de chimie en 1912.
Doyen de la Faculté des Sciences en 1905, Paul Sabatier y exerça ses activités d’enseignant et de chercheur jusqu’en 1939. Politiquement conservateur, Paul Sabatier se présenta sans succès aux élections municipales de mai 1896, sur la liste électorale « Union Républicaine et Défense sociale » soutenue par le journal La Croix. Refusant de multiples et alléchantes sollicitations parisiennes, il choisit de rester à Toulouse, s’affirmant comme un précurseur dans sa volonté de « vivre et travailler au pays ».

Ancienne faculté des Sciences, aujourd’hui siège de l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées

Une synergie recherche scientifique – industrie

Dès qu’il fut élu doyen, mandat qu’il exerça de 1905 à 1929, il s’empressa de mettre en œuvre réformes et innovations, afin de rompre avec le caractère encyclopédique de l’enseignement, mettant à profit un décret de la fin du XIXe siècle qui définissait les trois fonctions des professeurs d’université : formation, recherche et « rendre service à la Société ».
Ainsi, dès 1888, il professait un cours public de chimie agricole, le choix de la discipline étant lié à l’importance de l’agriculture pour l’économie régionale. Il souhaitait aller plus loin et faire participer son établissement à la vie sociale et industrielle du pays en l’orientant en partie vers l’enseignement des sciences appliquées.
Dès 1896, un enseignement de chimie appliquée était dispensé aux étudiants toulousains et sanctionné par un diplôme de chimiste. En 1906, il fut remplacé par un diplôme d’ingénieur chimiste préparé au sein de la Faculté des Sciences, dans l’Institut de Chimie, rapidement promu « Institut d’Université ». L’Institut accueillit onze étudiants la première année, mais sa croissance fut rapide et il en comptait soixante-neuf en 1911. Installé provisoirement dans les locaux de la faculté, un nouveau bâtiment fut construit rue Sainte-Catherine, après le prix Nobel.
Si la chimie était à la tête du mouvement vers les sciences appliquées, d’autres spécialités enseignées à Toulouse furent à l’origine de nouveaux instituts. La « houille blanche », dont les ressources hydroélectriques étaient très importantes dans les Pyrénées, apparaissait comme une opportunité pour la région de sortir de la situation qui la faisait apparaître comme vouée essentiellement à l’agriculture, handicapée dans tout développement industriel par l’absence d’approvisionnement proche en charbon. Cette idée se concrétisa par la création, en 1907, de l’Institut électrotechnique de Toulouse (IET) qui formait des ingénieurs et des conducteurs électriciens (équivalent de nos jours de techniciens supérieurs).
Restait alors à profiter de l’excellente situation toulousaine en matière d’agriculture pour compléter la palette d’enseignements appliqués qui se mettait en place. En 1893, une station agronomique était annexée à la Faculté des Sciences, suivie l’année après d’une station d’essais de semences et de pathologie végétale et, en 1901, d’une station de pisciculture et d’hydrobiologie. Tout ce travail aboutit en 1909 à la création d’un Institut Agricole, formant des ingénieurs agricoles.
C’est dans la gestion et l’animation de ces instituts, préfigurant l’actuel Institut National Polytechnique de Toulouse, que le doyen put mettre ses idées novatrices en application. Paul Sabatier était un précurseur dans les domaines de la pédagogie, de la décentralisation, de la professionnalisation et de l’autonomie des universités. Les élèves avaient ainsi la possibilité de suivre une partie de leurs études dans un autre pays que le leur. Grâce à des échanges avec les étudiants américains, les élèves des instituts toulousains pouvaient terminer leurs études à Harvard. Très novatrice aussi était l’idée d’accepter la formation de contremaîtres et de techniciens dans des établissements relevant de l’Université. Ces instituts entraînèrent une concertation prononcée avec les milieux économiques, qui aboutit au développement économique de la Ville rose et se traduisit par des visites d’usines et la participation d’ingénieurs aux enseignements.
La première grande application industrielle des travaux de Paul Sabatier est, sans aucun doute, l’application du procédé mis au point par Fritz Haber en 1909, développé industriellement dès 1913 par la société BASF sous le nom de procédé Haber-Bosch. On peut affirmer que ce procédé a sauvé l’humanité de la famine car il a permis de préparer, en grandes quantités, des engrais azotés de synthèse qui venaient à point pour remplacer les engrais naturels en voie d’épuisement. L’accès facile à l’ammoniac permettait aussi de préparer, par oxydation, l’acide nitrique à la base de l’obtention de poudres et explosifs. En ce domaine, il faut souligner le rôle extrêmement positif qu’a joué Paul Sabatier pour faire installer à Toulouse une usine de fabrication d’engrais azotés : l’Office national industriel de l’azote (ONIA) ; en compensation des dommages de guerre, le traité de Versailles de 1919 avait donné à la France le droit d’utiliser les brevets Haber-Bosch, À l’origine d’une grande partie du développement économique de Toulouse, l’ONIA, créé par une loi du 11 avril 1924, devait devenir, après fusion avec la Société des potasses d’Alsace, la société Azote et produits chimiques en 1967. En 1983 enfin, rachetée par la société Grande Paroisse, filiale d’Atofina, c’est sous l’appellation d’AZF (Azote et Fertilisants) que l’usine continua sa production.
La destruction du site industriel, le 21 septembre 2001, après 75 ans d’activité, devait éliminer l’un des premiers employeurs de la région et arrêter une production qui, dans les années 1980, l’avait amené à devenir le premier producteur et exportateur mondial de nitrate d’ammonium.
Ce site porte encore les stigmates de cette activité mais aussi ceux de la guerre de 14-18 : il y avait accueilli les extensions de la Poudrerie de Toulouse qui préparait les produits chimiques indispensables aux armes conventionnelles. C’est ainsi qu’il renferme environ 5 000 tonnes de nitrocellulose, soit 4 500 tonnes dans une ballastière et 500 tonnes dispersées dans le sol.

 

Pour en savoir plus :
Lattes A., « Paul Sabatier, prix Nobel de chimie 1912 : un universitaire régionaliste et chercheur de talent. Biographie et œuvre scientifique », L’actualité chimique, n° 367-368, 2012.


© Nobel Foundation, © R. Marconis

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